Par Professeur SHANDA TONME(Editorialiste)
Hitler avait désigné les Juifs comme « une gangrène » dans l’Allemagne Nazi, entraînant un des génocides les plus insoutenables de toute l’histoire de l’humanité. Le colonel Lamberton, un pur produit des doctrines coloniales françaises, avait désigné les Bamilékés comme « un caillou dans la chaussure du Cameroun », balisant la voie à un génocide dont les archives métropolitaines refusent toujours de révéler les détails. En 1972 le commando palestinien « Septembre noir », avait ensanglanté les jeux olympiques de Munich en s’en prenant aux athlètes israéliens. En 1982, soit exactement dix ans plus tard, l’aviation israélienne avait lancé une guerre sans merci contre les bases palestiniennes du sud Liban, aboutissant aux massacres des camps de Sabra et Chatilla, les pires de toute l’histoire de la confrontation entre les deux peuples. Yasser Arafat et tout le staff de l’OLP n’avait été sauvé de justesse et transféré à Tunis que grâce à l’action énergique du président français François Mitterrand.
Récemment en Australie, un fanatique détraqué et ultra-sectaire, véritable adepte des théories suprémacistes occidentalo-chrétiennes, a mitraillé les fidèles d’une mosquée en poussant l’ignominie à un stade suprême par la transmission en direct sur les réseaux sociaux, des images de son opération. On avait déjà vécu Charly Hebdo et le Bataclan en France, les marchés de Noël en Allemagne et d’autres actes de haine sans nom ailleurs. Même les morts ne sont plus laissés en paix, puisque les profanations des tombes dans les cimetières ont maintenant lieu tous les jours. Aux attaques des synagogues succèdent les attaques des mosquées. Aux murs et aux barrières succèdent des vagues de noyades qui transforment les mers et les océans en cimetières des clandestins anonymes.
On n’oublie pas, et comment serait-ce possible, l’effroyable génocide du Rwanda, dont on vient de commémorer le vingt-cinquième anniversaire avec solennité émotionnelle, douleurs mémorielles et minutie protocolaire.
Et comme il fallait s’y attendre ou le suspecter, la folie de l’Australie a eu une réponse, moins de deux mois plus tard, par la bêtise à grande échelle du Sri Lanka, avec plus de trois cents morts et autant de blessés. C’est dans ce contexte que le Cameroun a tenu à rappeler au monde, qu’il demeure dans la course pour le titre de pays le plus sérieusement prédisposé à des explosions sectaires et des déchirements haineux, au travers ses constructions institutionnelles. En effet la petite ville cosmopolite d’Obala, située dans le centre du pays, n’a pas attendu que les morts du Sri Lanka soient enterrés, pour sombrer dans une bataille tribale sanglante, avec son cortège de blessés et son mort. Les autorités parlent de l’implication des machettes, des couteaux, des battons et toutes sortes d’armes blanches, mais chacun sait très bien, que tout cela n’est jamais que le prélude à l’utilisation prochaine des armes à feu, qui ne sont pas loin.
Soutenir que l’on est surpris par un tel déferlement de haines, là-bas comme ici, comme à côté et comme ailleurs, serait insulter l’intelligence humaine. En effet les référentiels institutionnels voire le cadrage mathématique de ces cruautés n’a plus rien d’étonnant. Il suffit simplement d’avoir la volonté et l’honnêteté de mettre en exergue, ses traits génétiques connus et matériellement incontestables, pour obtenir une lecture objective, volontiers globalisante de la situation.
I – De l’incident isolé au drame globalisant
Trop souvent, les acteurs n’ont pas eux-mêmes mesuré les conséquences de leur démarche, de leur vocabulaire, de leur déclaration, des mots utilisés et usés. Trop souvent, tout est venu d’un geste, d’une parole mal comprise ou mal interprétée, voire d’une blague mal placée. Trop souvent, il a manqué un responsable, une sagesse du moment, un peu d’intelligence et de prise en charge sociétale. Trop souvent, c’est la volonté des gens bien rangés et conscientes qui a fait défaut.
A Obala, les choses ne sont pas ce que l’on croyait, il n’y a jamais eu de guerre civile ni de chasse à tel ou tel tribu, il y a eu un débordement de colères après une mort au cours d’une rixe de vrais gamins éméchés. En somme c’est quelque chose qui arrive trop souvent même lors des fêtes entre jeunes, à la sortie d’une boîte de nuit, après une virée bien arrosée. A Obala, c’est le désir de vengeance, la volonté de quitter la culpabilité d’un individu, d’un seul individu, pour se déporter vers la culpabilité d’un clan, d’une tribu, d’une dynastie, d’un village qui a embrasé la cité. En effet un adolescent est mort à la suite d’une bagarre avec un autre adolescent, et puis le feu, la guerre, l’apocalypse, NON, on doit pouvoir éviter çà.
La première guerre mondiale commença sur une presque banalité, un meurtre qui aurait du et pu être localisé, marginalisé et traité avec plus de responsabilité et surtout avec plus de discernement. Hélas trop souvent, le fait que ces choses arrivent dans un contexte chargé de soupçons, de préjugés divers et de prédispositions abjectes dans l’agencement des rapports humains de toute nature, rend compliqué tout contrôle réel et facilite des dérapages. A Obala il aura fallu la dextérité et la rapidité du préfet de la Lékié avec la mobilisation et l’implication effectives de tout son état-major sur le terrain, pour que ce qui se présentait déjà comme une terrible bombe entrainant le déclenchement d’une guerre civile en grandeur nature, soit désamorcée. Il faut pouvoir louer la lucidité, la poigne et le sens du commandement de ce haut fonctionnaire.
Ce qui est frappant, c’est le contenu des témoignages recueillis après, où l’on apprend que les gens, les communautés diverses, les tribus de toute part et de nulle part, ont toujours vécu, travaillé et coexisté dans cette ville unanimement réputée cosmopolite. Alors, où se situe le problème, puisqu’au sens de notre connaissance, de notre appréhension et de notre maîtrise du monde, c’est la planète entière, en tous ces lieux, dans toutes ses cités et constructions, qui est aujourd’hui cosmopolite, arc-en-ciel, internationale ?
II – Le discours instrumentaliste de la haine
Les récits abondent toujours, venant d’hommes et de femmes dans leur soixantaine, à la fin de leur vie, qui jetant un regard froid sur le monde du présent, s’indignent âprement et bruyamment, au constat des divisions, des marginalisations, des relents sectaires et des tribalisations insistantes. Jamais ces gens n’avaient cherché à connaître de quel parent ou de quel coin de la planète, encore moins de quel village, était originaire leur camarade de classe, leur copain de jeu de la prime enfance, même leur relation d’affaire devenue adulte.
Que c’est loin, ces instants, ces moments de la construction de notre humanité ! Entendez un élu italien traiter les immigrés de rats. Entendez le premier ministre Silvio Berlusconi déclarer que de toute façon, la civilisation occidentale est supérieure et restera toujours supérieure à la civilisation de l’islam ainsi qu’à toutes les autres civilisations. C’était en réaction aux terribles attentats terroristes contre les Etats Unis en septembre 2001. Entendez donc un haut élu français traiter le ministre de la justice, Christiane Taubira de singe. Entendez le président Donald Trump parler de pays de merde en référence aux pays de départ des immigrés, où règnent la pauvreté, la misère et la mauvaise gouvernance. Entendez ce discours d’Hitler sur les Juifs, et plus près de nous, les déclarations de tout un ministre du nouveau gouvernement camerounais sur les Juifs et les Bamilékés.
C’est tout cela qui produit des bombes et des explosions subséquentes, cultivent la haine dans les consciences, légitimise la violence sectaire, valide toute sorte de discrimination et de barbarie clanique. On fera comment, pour effacer ce triste passage de notre histoire contemporaine, quand la radio FM de la capitale, une radio d’Etat, appelait les populations à s’équiper de machettes, à se préparer à exterminer les envahisseurs ? On fera comment pour oublier, cette ville de Bafoussam en 1991, complètement morte où il n’y avait aucune âme qui bouge dans les rues, alors que le président du pays en personne, y effectuait une visite officielle ? On a marché à Douala en 1996 contre une sottise que les auteurs appelaient « l’hégémonie d’une certaine tribu ». Tout cela nous accuse et interroge notre pratique politique, notre éthique sociale et nationaliste.
Partout dans le monde, la meilleure démonstration de la convivialité et de la coexistence pacifique entre les peuples, est maintenant symbolisée par le mur, un mur que l’on construit dans son esprit, à défaut de le construire directement et effectivement sur le terrain. Toutes les campagnes électorales dans ce que nous appelons « les grandes démocraties, les pays développées, les nations riches », se concentrent dorénavant sur le sort des étrangers. La question de l’immigration est ainsi devenue centrale, avant même l’économie, la défense nationale, la santé et l’éducation. Et quand on en arrive là, il faut assumer toutes les conséquences. A Moscou, il existe toujours des gangs qui s’attaquent aux Noirs. Aux Etats Unis, malgré le discours, malgré toutes les lois, des sectes radicalisées pires que le fameux Ku Klux Klan, continuent de semer la mort contre ce qu’ils dénomment des « hommes de couleur ». C’est très grave.
III – De l’esprit et de la lettre du droit tout court
Les peuples ne se lèvent pas et marchent les uns contre les autres sans raison, à partir de rien, ou sur la base d’une haine congénitale. Les peuples interagissent, réagissent, obéissent, captent les signaux, reproduisent des ordres et des instructions. Pour tout cela, le seul responsable est le gouvernant, le faiseur des lois et le constructeur du droit.
En effet, lois et règlements tracent ce qui dans la substance philosophique, éthique et morale de notre vision, de notre programmation du destin collectif, devrait être la norme dans le comportement des gens, dans l’articulation des rapports de toute nature et dans l’ordonnancement des mécanismes de résolution des conflits. Et comment valide-t-on ce tissu de normes sinon par la charte fondamentale, la constitution ? La constitution est en effet, le manifeste suprême d’orientation de la forme de l’Etat, des ambitions de développement et de bien être d’une communauté nationale. Elle, la constitution, dit ce que lois et règlements doivent être, à quoi ils doivent servir, ce que le pouvoir doit être, ce que les rapports humains et le destin de chaque citoyen doivent être.
Ainsi donc, chaque mot, chaque loi, chaque règlement, que ce soit un décret, un arrêté, une décision quelconque, porte les germes à terme, d’une expression négative ou positive du bonheur des citoyennes et des citoyens. Depuis le jour où il est apparu dans la constitution du Cameroun que les gens pouvaient être classés en allogènes et autochtones, la flame de la bêtise a commencé à gangrener les esprits et à miner les comportements, réduisant à néant des décennies de construction d’une harmonie nationaliste et d’une ferveur patriotique, anéantissant tout simplement en un temps record, des efforts gargantuesques de raffermissement du sentiment national. Avec le recul, je voudrais faire œuvre utile, œuvre de tolérance et de grand cœur voire de naïveté, en me disant que les auteurs de cette saloperie n’étaient peut-être mal intentionnés. Je ne vois personne aimant son pays et comploter dans le même temps à encourager son implosion à travers des dispositions aussi cruelles, vexatoires et attentatoires à une vraie unité nationale. L’erreur est humaine, et je ne vois pas de faute qui ne puisse pas être réparée, du moins pardonnée. On a sans doute agi par, pour et avec des émotions sectaires, mais on agissait, je veux le croire encore, dans l’intérêt du Cameroun.
Nous tombons dans les supputations individualistes, à voir ce fou d’un dieu imaginaire et sectaire, qui se lève un matin et va mitrailler les fidèles musulmans dans une mosquée en Australie. Mais la suite, c’est au Sri Lanka que l’on le découvre, deux mois plus tard, avec des kamikazes qui vont se venger en se faisant exploser dans trois grands hôtels et trois paroisses catholiques, en un jour de pâques, faisant près de trois cents morts et autant de blessés. C’est cela l’irresponsabilité, quand on croit agir pour sa communauté, mais en fait, on s’attaque à toute l’humanité. Ces fous contrarient ce qui dans notre espèce, est le plus cher, c’est à dire la coexistence pacifique intelligente, et la fraternité. Les fous de septembre noir, tout comme les fous du 11 septembre 2001, croyaient répondre à la douleur des mille préjudices subis par le peuple arabe, par les éternels réfugiés palestiniens, mais ils ont aidé l’arbre de la haine à pousser plus vite. Ceux qui ont assassiné Kadhafi, Ruben Um Nyobé, Ernest Ouanjié, Felix Roland Moumié , Lumumba et Sankara, sont également à ranger dans le catalogue de ces fous, lesquels au nom de sournoises programmations sectaires, brutalisent et cassent la mécanique solidaire et compassionnelle de toute l’espèce humaine.
Il faut certes condamner les autres fous, ceux des barbaries aveugles appelés Kamikazes, mais quand un président, un si haut responsable des affaires du monde et du destin de l’humanité, de son bureau à Washington, prends chaque jour sa plume pour détruire des accords internationaux, pour se ficher des traités de paix construits patiemment dans la souffrance, le consensus et la sagesse, à quoi doit-on s’attendre des gens déprimés et choqués ? Trump est dès à présent le premier responsable de tous les actes terroristes qui ensanglantent le monde et endeuille de nombreuses familles. Il croit défendre les intérêts des Etats Unis. Non Donald Trump ne défend pas les Etats Unis, il compromet les intérêts des Etats Unis, il s’attaque à toute l’humanité, il hypothèque le destin de notre planète à travers ses négations sur le réchauffement de la planète, le changement climatique et la destruction accélérée de l’écosystème. Quand même les gigantesques et ravageuses incendies de Californie ne le contraignent pas de changer de langage sur le climat, il faut craindre que ce président finisse par conduire la planète vers une explosion bien trop grave.
Et que conclure, quand le président Turc Receip Tayip Erdogan, traite le président français Macron de tous les noms sales, pour avoir osé instituer une journée nationale de mémoire du génocide arménien ? Que dire quand on apprend, que sans culot ni remords ni honte ni réserve, l’homme sur les mains de qui le sang de Thomas Sankara n’a pas encore séché, offre ses services pour lutter contre les groupes terroristes, ses amis de toujours, qui multiplient des attaques contre le Burkina Faso ? Qui croire entre Déby et Macron, quand les avions français entrent encore en guerre sur le sol tchadien ? Comment prendre au sérieux les Etats Unis qui prétendent condamner les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, si dans le même temps ils s’opposent à la mise en cause et à l’inculpation de leurs soldats auteurs des exactions sur les théâtres d’opération ? Comment valider les proclamations pacifiques de nos propres dirigeants, quand nous ne sommes pas capables de construire un dialogue sérieux, objectif, inclusif et déterminant, pour mettre fin à la guerre dans les régions anglophones du pays ?
Les guerres sont d’abord des échecs de la diplomatie, les échecs de la diplomatie sont la résultante de mauvaises articulations des intérêts nationaux, et les mauvaises articulations des intérêts nationaux sont le fait de mauvais gouvernants. Le monde est devenu ouvert et même très ouvert, mais certaines personnes, certains dirigeants, sont encore fermés dans leur tête, très fermés./.